Depuis six ans, le conseil régional d'Auvergne, que je préside, se bat pour le désenclavement numérique de l'Auvergne. Pour une région de moyenne montagne, être à la pointe en matière de nouvelles technologies n'est pas un "luxe". C'est vital : à la fois une nécessité économique, un gage d'attractivité pour accueillir de nouvelles populations, une condition sine qua non pour préserver les meilleures chances de se développer. Le volet numérique est devenu crucial en matière d'aménagement du territoire, à plus forte raison dans des zones à faible densité de population. Pour prendre un exemple très concret, le déploiement de points visio-public (PVP) en Auvergne a permis aux habitants utilisant ces bornes interactives de garder un lien de qualité avec les services publics, dans des zones où ces services publics se sont retirés physiquement. Cette initiative a valu à l'Auvergne une distinction européenne, et nous recevrons également un autre prix européen, au mois de mai, pour le déploiement du haut débit sur l'ensemble du territoire auvergnat, grâce à un partenariat public-privé (PPP) qui, en la matière, fut le premier en France.
L'Auvergne a la chance d'être en avance au niveau de sa couverture numérique, elle entend bien la garder et poursuivre dans cette démarche : nous ne comprenons pas un avis tel que celui qui a été rendu par l'Autorité de la concurrence à l'ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), et qui jouerait clairement en défaveur de notre région. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il se fonde sur un principe, celui du respect de la concurrence, dans un secteur où il ne peut y avoir de concurrence étant donné qu'il n'y a pas, à proprement parler, de marché. Pour simplifier, l'Autorité de la concurrence se prononçait en décembre contre les montées en débit des réseaux cuivre (lignes ADSL) au motif qu'elles seraient susceptibles de freiner les investissements, les projets de mise en place de fibre optique (fibre juqu'au domicile, FTTH).
Si les opérateurs "se battaient au portillon" pour amener la fibre optique dans tous les foyers des plus petits villages de nos campagnes, nous le saurions déjà et nous en serions évidemment ravis ! Ce n'est évidemment pas le cas… Comment peut-on évoquer le sacro-saint principe de libre concurrence quand on sait parfaitement que les zones à faible densité de population, par définition non rentables, ne seront jamais prioritaires aux yeux des opérateurs pour une couverture totale en fibre optique. Au mieux, elles "suivront", avec quelques années de décalage, la couverture des grandes agglomérations. A Paris, à Lille, à Clermont-Ferrand, les opérateurs se feront effectivement une saine concurrence ; mais à Chaudeyrolles, à Girgols ou à La Godivelle, qu'en sera-t-il ? On peut ici citer un Auvergnat, Blaise PASCAL, qui disait : "Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà." Elle est très juste sur le sujet qui nous préoccupe. La pertinence des règles de concurrence ne peut être jaugée sous le même angle selon que l'on se place à Paris, capitale de la France, ou dans une commune du Massif central de deux cents habitants.
C'est une sorte de paradoxe, de monde à l'envers pour des technologies de communication : pourquoi devrait-on se priver pour longtemps de débit, de vitesse, quand on sait comment l'augmenter dans des délais raisonnables ? Les premiers pénalisés seront les entreprises, qui sont très demandeuses, et bien sûr les particuliers : l'arrivée de la télévision numérique et, très vite, des émissions et films en 3D, va accroître mécaniquement les besoins du public. Je me vois mal expliquer à mes concitoyens qu'on les prive de montées en débit sur les réseaux cuivre, alors que c'est techniquement réalisable, uniquement parce que l'on veut favoriser l'arrivée de la fibre optique partout. Ils ne sont pas dupes et savent très bien qu'ils ne seront pas parmi les premiers servis en fibre optique jusqu'à leur domicile, loin s'en faut… D'ailleurs, le plan de déploiement du très haut débit au niveau national ambitionne de parvenir à une couverture à 100 % d'ici à 2025, avec un point d'étape à 70 % de la population française en 2020. Mais 70 % de la population nationale, cela voudra dire quel pourcentage de la population auvergnate couverte en 2020 : 50 %, 55 % ?
D'autre part, l'opération coûtera des milliards d'euros, à l'échelle nationale, et rien ne garantit que les délais seront tenus. Le coût du déploiement du FTTH sur l'Auvergne est estimé à environ 1,5 milliard d'euros. Pour rappel, l'Etat a prévu, pour l'instant, 2 milliards d'euros pour tout le territoire national dédiés au déploiement de la fibre optique. C'est très insuffisant. Et il n'est nul besoin d'être devin pour se douter que la concurrence entre opérateurs jouera certes sur les grandes agglomérations, mais que les zones ayant les plus faibles densités de population seront priées de patienter jusqu'en 2025, voire au-delà… Pour l'Auvergne, bien sûr, cela représente une proportion de population assez importante du fait de la structure démographique et des densités d'une région de moyenne montagne.
Pour ces raisons, nous nous efforçons toujours en Auvergne d'anticiper et d'apporter des réponses adaptées, afin de pénaliser le moins possible des territoires qui sont, en outre, démographiquement fragiles. Nous ne voulons pas prendre de retard. Notre région a été la première à se doter d'un schéma directeur de l'aménagement numérique (SDAN) dans le cadre de la stratégie régionale d'aménagement numérique (SCOAN), avant même les recommandations gouvernementales et ministérielles. Pour garder notre avance, nous avons prévu des montées en débit progressives, par zones, en commençant par l'équipement des zones d'activités économiques, des bâtiments publics tels que les hôpitaux, les lycées… Nous privilégions les zones sur lesquelles les opérateurs ne vont pas entrer naturellement en concurrence puisqu'ils les jugeront non rentables, avec à l'esprit le souci d'une certaine équité entre les grandes agglomérations et les zones les moins peuplées.
Décider d'être très restrictif sur les autorisations de montée en débit sur les réseaux cuivre serait une décision calamiteuse pour l'aménagement du territoire et réduirait presque à néant tous les efforts que nous faisons, en Auvergne, pour atténuer les disparités entre nos territoires. Il nous reste à souhaiter vivement que l'ARCEP prenne conscience du caractère parfaitement illusoire d'une prétendue concurrence entre les opérateurs pour investir dans un réseau de fibre optique jusqu'au domicile dans nos régions. En freinant les solutions intermédiaires de montée en débit sur nos territoires, ce sont encore et toujours les zones rurales qui seraient pénalisées. Quand nous avons une chance, ce qui est le cas de l'Auvergne puisqu'elle est en avance sur sa couverture numérique, nous ne voulons pas passer à côté pour des questions de principe, qui sont en l'occurrence infondées et bien éloignées de la réalité sur le terrain.
René Souchon est ancien ministre, président du conseil régional d'Auvergne, président de la Mission Ecoter, association œuvrant au développement des technologies de l'information et de la communication dans les collectivités territoriales
jeudi 29 avril 2010
Ne pas sacrifier la couverture numérique des zones rurales sur l'autel de la concurrence ! par René Souchon
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